HERITAGES CULTURELS ET RELATION AU TRAVAIL
A l’heure où les politiques livrent bataille sur le champ de la transmission du patrimoine, il existe des héritages dont on ne parle pas dans les médias. Ces héritages sont parfois de véritables freins à l’épanouissement personnel et professionnel. Comment les détecter et les accepter pour construire sa propre identité professionnelle ?
« Je suis dans le flou »
« Je ne me sens pas bien au travail mais je ne sais pas comment faire pour changer ça »
« Je veux me reconvertir mais je ne sais pas dans quoi »
« J’ai envie de faire plein de métiers mais je n’arrive pas à me décider ».
Ces phrases, je les reçois à chaque fois avec la même bienveillance à mon cabinet lorsque que je reçois Fabien, Leslie, Lionel, Malika et les autres en bilan de compétences. Elles sont prononcées lors d’une première rencontre entre un potentiel client et le consultant, lors du « primo » comme on l’appelle dans le jargon professionnel du bilan de compétences. Le contrat n’est pas encore signé, la relation n’est pas encore tissée que déjà ces personnes me parlent de leur intimité. Elles me livrent parfois le mal être, souvent l’incertitude, de façon systématique la quête d’épanouissement et la motivation à changer.
L’écoute est à ce moment fondamentale car c’est souvent la première fois que ces personnes osent pleinement s’exprimer. Les histoires sont toutes différentes, les parcours variés, les personnalités multiples mais ces personnes ont toutes un point commun : un rapport au travail dégradé : fatigue, parfois épuisement, difficultés relationnelles, perte de sens, sentiment de dévalorisation, de manque d’autonomie, de temps pour exercer correctement leurs activités, d’absence de reconnaissance…
Au-delà de l’accompagnement classique à la transition ou à l’évolution professionnelle et de la mise en place des outils pour y parvenir (enquêtes métier, tests de personnalités, valorisation des compétences…etc.), c’est bien de la relation au travail dont il s’agit lorsque j’accompagne mes clients en bilan de compétences. C’est elle que j’interroge dans le parcours des clients avant toute démarche de définition des choix de reconversion professionnelle, car c’est la perception qu’ils ont de leur relation au travail qui est fondamentale à questionner, parfois à restaurer et à reconstruire pas à pas.
En effet, si les conditions de travail en France ont largement progressé par rapport au siècle dernier, la perception que les personnes en ont, à l’inverse, s’est fortement dégradée du fait des changements de méthodes de management et de la numérisation.
C’est précisément cette perception qu’il est intéressant d’aller regarder chez les clients en transition professionnelle, et en particulier celle qu’ils ont construite dans leur parcours de vie à travers les croyances héritées de la famille, de l’école et de l’environnement social.
L’héritage familial, un cadeau ?
Questionner l’héritage familial en termes de croyances et de valeurs par rapport au travail est une première étape dans l’accompagnement de mes clients à la transition ou la reconversion professionnelle.
Quels étaient les métiers de leurs parents ? Quelles étaient leurs croyances et leurs aspirations par rapport au travail ? Quel plaisir en retiraient-ils ? Comment en parlaient-ils ? Etaient-ils épanouis au travail ?
Quels souhaits avaient-ils pour le client ? Les parents ont-ils poussé le client vers des études spécifiques et une voie professionnelle définie ?
De ces questions, naissent d’autres questions : comment se sont opérés les choix professionnels du client ? En reproduction (pour éviter les conflits de valeurs) ou en rébellion (pour lutter contre ce système de valeurs) ?
Cette question du rapport au travail et des croyances dans la famille peut avoir des effets multiples sur les choix professionnels et la vie du client. Elle peut le conduire à renoncer à certaines voies professionnelles pourtant désirées pour éviter inconsciemment le conflit de loyauté familiale, elle peut aussi conduire le client à saboter un projet professionnel répondant à ses propres valeurs pour ainsi conforter les valeurs familiales (toujours ce sacré conflit de loyauté). Enfin, elle peut inciter inconsciemment le client à faire des choix d’un métier en totale opposition avec les valeurs familiales (rébellion), mais qui ne répond pas forcément à ses propres aspirations.
Souvent, le client souffre de ces choix guidés par l’héritage familial. Il conviendra donc d’amener le client à se poser les questions suivantes :
Cette construction représente-t-elle aujourd’hui un frein à ses choix professionnels ?
Qu’est-ce qui lui correspond aujourd’hui et répond à ses besoins ? Au contraire, qu’est ce qui l’encombre et l’empêche d’avancer dans ses choix professionnels ?
Il lui appartiendra donc à la fois de déconstruire un système de valeurs qui ne lui convient pas pour bâtir son propre système de valeurs. L’objectif ? Avancer dans son parcours de transition professionnelle et trouver sa propre identité professionnelle.
Les souvenirs d’école : cancre, élève moyen ou premier de la classe ?
Les années d’études, de la maternelle aux études supérieures marquent fortement nos parcours de vie. Ce que l’on y a appris, qui l’on y a rencontré, comment nous l’avons vécu et comment nous y avons été perçus, tant par les professeurs que par les amis et connaissances : tous ces éléments sont des marqueurs forts de notre histoire de vie professionnelle.
Il s’agit ainsi pour le consultant en évolution professionnelle de questionner le client pour connaître l’empreinte laissée par ses années de vie scolaire (maternelle, primaire, collège, lycée, grande école ou université) :
Comment a-t-il vécu ces années : comme un effort permanent, un ennui ou au contraire un épanouissement ?
Par quelles disciplines était-il attiré et prenait-il du plaisir ?
Dans quelles matières était-il performant ou moins performant ?
Quel regard portait-il sur les instituteurs et professeurs ?
Que disaient de lui le corps enseignant et les autres élèves à cette période ?
Pourquoi avoir choisi la voie généraliste ou au contraire la spécialisation ?
Avait-il beaucoup d’amis ?
Quel comportement avait-il en classe ?
Avait-il des loisirs et lesquels ? Faisait-il du sport, si oui lequel (individuel ou collectif) ? Quel plaisir en retirait-il ?
Il s’agit ici de comprendre ce qui a influencé et guidé le client dans ses choix d’orientation scolaire et professionnelle pour identifier les éventuels renoncements, les choix par défaut ou guidés par la raison plutôt que par le cœur. L’intention de ce travail est de détecter si pour le client, ces choix ont été assumés ou non et s’ils résonnent de façon négative dans la vie professionnelle actuelle du client (sentiment d’inachevé, ennui ou perte de sens…).
Sortir du formatage social ou s’adapter ?
Notre environnement social et économique est aussi facteur d’influence dans nos choix d’études et de profession.
Certains clients vont privilégier des études qui offrent des débouchés professionnels pour répondre à un besoin de sécurité matérielle et psychologique au risque de faire taire toutes leurs aspirations. Les discours entendus sur le risque de chômage ou la précarité (au sein de la famille, de l’environnement social et des médias) peuvent être un frein au développement personnel et professionnel, à des choix plus risqués financièrement (création d’entreprise, carrière artistique. Lutter contre ses peurs est difficile et le chemin raisonné et raisonnable est souvent le plus aisé.
Et je ne suis pas surprise non plus de constater chez mes clients une méconnaissance des diverses voies professionnelles possibles et des parcours pour y parvenir tant c’est un apprentissage quasi inexistant pendant la période scolaire. Car oui, l’école en France ouvre peu aux métiers, aux talents professionnels et aux moyens de les expérimenter avant de faire ses premiers choix professionnels.
Tous ces héritages engendrent des croyances parfois limitantes pour les personnes en transition professionnelle. Il s’agit pour le coach ou le consultant en bilan de compétences de les accompagner pour les détecter, les accepter, analyser leurs effets sur leurs choix professionnels, les démentir ou les nuancer, s’autoriser à les dépasser, ancrer de nouveaux réflexes, mettre en action les nouvelles croyances ainsi forgées.